S'il succède, au titre des productions maudites, à La Fureur de Vivre de Nicholas Ray, et précède Arnold & Willy, le Poltergeist de Tobe Hooper et Steven Spielberg, mérite toutefois qu'on s'y attarde autrement que pour sa seule place de choix sur le morbide podium (fait de karmas sordides et autres morts prématurées - et souvent violentes - de ses principaux protagonistes)*.
Et s'il grossit le rang, avec Voyage au Pays de la Peur (1942) et à La Chose d'un Autre Monde (1951), des films vraisemblablement tournés davantage par leur producteur que par le réalisateur attitré, on pourra là encore lui accorder un autre crédit que cette réductrice et légendaire dimension**.
Mais, reconnaissons-le, ça commence à faire beaucoup pour un seul film.
Initié par Steven Spielberg en parallèle de sonE.T., Poltergeist se veut premièrement la légitimation du côté obscur de sa Force.
Tenu pour le plus « puéril » des enfants terribles (Scorsese, Coppola, DePalma,...), le futur barbu veut en finir avec cette image frivole et réductrice de petit faiseur de BD filmiques.
Tenu pour le plus « puéril » des enfants terribles (Scorsese, Coppola, DePalma,...), le futur barbu veut en finir avec cette image frivole et réductrice de petit faiseur de BD filmiques.
C'EST PAS MOI, C'EST LUI
Toutefois, la Director's Guild interdisant qu'un réalisateur tourne deux films en même temps, le jeune homme se voit contraint de déléguer le plateau à un autre, tout en ambitionnant (de la manière la plus discrète qui soit) de laisser indélébile sa marque sur le projet.
Elisant Tobe Hooper (qui venait de passer chez Universal pour signer Massacre dans le Train Fantôme) pour on ne sait quelle raison valide comme metteur-en-scène (il admire certes Massacre à la Tronçonneuse mais cela saurait-il suffire ?), il s'applique, dans cette même optique de « discrétion », à rompre avec sa famille artistique en dehors des postes clés du casting, du montage, de l'écriture (même si Stephen King est un temps approché pour scénariser l'idée originale de Spielberg).
Elisant Tobe Hooper (qui venait de passer chez Universal pour signer Massacre dans le Train Fantôme) pour on ne sait quelle raison valide comme metteur-en-scène (il admire certes Massacre à la Tronçonneuse mais cela saurait-il suffire ?), il s'applique, dans cette même optique de « discrétion », à rompre avec sa famille artistique en dehors des postes clés du casting, du montage, de l'écriture (même si Stephen King est un temps approché pour scénariser l'idée originale de Spielberg).
Afin de noyer le requin, Jerry Goldsmith remplace ainsi John Williams à la musique et plusieurs petits nouveaux sont invités à rejoindre l'équipe (au cadre, aux décors).
Tous les acteurs enfin sont choisis pour leur non-spielbergerie.
Dés le tournage, la polémique battra toutefois son plein quant à la paternité de l'oeuvre (et le débat dure encore !) et au rôle de chacun dans le projet (les deux hommes se disputaient déjà la responsabilité du story-board !). Si on accorde depuis parfois hâtivement certaines séquences à Spielberg (les plus « mignonnes ») et d'autres à Hooper (les plus « violentes »), rien n'est aussi simpliste, ni aussi certain.
Tous les acteurs enfin sont choisis pour leur non-spielbergerie.
Dés le tournage, la polémique battra toutefois son plein quant à la paternité de l'oeuvre (et le débat dure encore !) et au rôle de chacun dans le projet (les deux hommes se disputaient déjà la responsabilité du story-board !). Si on accorde depuis parfois hâtivement certaines séquences à Spielberg (les plus « mignonnes ») et d'autres à Hooper (les plus « violentes »), rien n'est aussi simpliste, ni aussi certain.
Les confidences de la majeure partie des témoins et collaborateurs portent à croire que, comme Irving Pichel sur Zaroff par rapport à Shoedsack, Tobe Hooper eut principalement la charge de la direction des acteurs tandis que Spielberg s'occupait, peu ou prou, de tout le reste; John Baxter, dans son indispensable Citizen Spielberg (Ed. Nouveau Monde, 2004), se rangeant à cette « version » des faits, argue en outre que si Poltergeist n'était vraiment pas un film de Spielberg, alors Hooper serait un génial pasticheur, tant tout l'univers, les préoccupations, la manière et les tics mêmes du producteur semblent tous compilés dans le titre.
Au-delà de cette passionnante dimension polémique paternelle, à propos de laquelle on pourrait gloser encore bien des lignes, qu'en est-il du contenu de Poltergeist ? Famille, suburbia et communication extra-humaine sont au coeur du dispositif, à égale hauteur de la croyance en un ailleurs aux valeurs plus nobles (quand bien même se manifesteraient-elles de sombre manière) qui entre en contact avec nous. Rien moins que le petit lexique Spielbergien, dites-vous ?
DES PLATES BANDES POUR LES EX-FLOWER POWER
Premier parmi les premiers films de l'ère Reagan (Freeling senior, lit au pieu une bio de l'acteur ayant gagné la Maison Blanche), Poltergeist, qui fustige in fine l'arrogance et l'inconséquence de l'entreprenariat sur quoi repose une part de l'histoire de l'empire américain et que symbolise plus durement encore ce nouveau président fraîchement élu, est en outre davantage la face d'une même pièce tenantRencontres du 3ème Type plutôt qu'E.T. en son côté pile.
Ainsi, si l'expérience surnaturelle fait exploser la cellule familiale de Rencontres, celle vécue par les Freeling dans Poltergeist les soude plus que jamais - quand bien même démasculinise-t-elle un peu le père (l'affaire étant proche de l'utérin, il se trouve réduit aux utilités « spectatrices »).
Ainsi, si l'expérience surnaturelle fait exploser la cellule familiale de Rencontres, celle vécue par les Freeling dans Poltergeist les soude plus que jamais - quand bien même démasculinise-t-elle un peu le père (l'affaire étant proche de l'utérin, il se trouve réduit aux utilités « spectatrices »).
Les Freeling sont d'ailleurs le prototype d'anciens hippies (premier enfant à 15 ans, marijuana persistante, ...) devenus les self made families des 80's, un pied quittant les expériences et les possibles, tandis que l'autre est déjà bien enfoncé dans le cynisme réaliste contemporain. A la charnière de deux mondes philosophiques, ils sont ainsi parfaits pour être à l'intersection des deux univers qui secouent leur maison. La maison est bien sûr au centre des enjeux, en rappel métaphorique (foyer=famille) mais aussi en gage de réussite à l'américaine (être propriétaire de sa maison) et, par dessus tout, en reflet des mutations urbanistiques qui ne cessent de transformer le pays.
La banlieue pavillonnaire, la suburbia, déjà rencontrée dans les faubourgs d'Haddonfield (in Halloween), devient le théâtre de tout un pan du cinéma fantastique américain. Définitivement orienté vers les teenagers, il s'agit pour celui-ci de proposer un terrain familier à son public, où il évolue quotidiennement (lorsque ce n'est pas le collège, c'est donc la zone pavillonnaire, où s'ébattent les golden retrievers (les Freeling en ont un), roulent les vélos bi-cross, cliquent et interfèrent les remote-control (gag sympathique dans le prologue de Poltergeist) et ronronnent les tondeuses à gazon du dimanche.).
Les plans du générique survolant ces zones d'habitations infinies, proprettes et interchangeables (le gag des télécommandes évoqué plus haut relève de cette uniformité consumériste) annonce le déplacement des lignes: foin de forêts hantées et de demeures gothiques***, le fantastique, l'effroyable, le merveilleux se tient désormais chez soi, dans son propre environnement. Entre le téléviseur et le micro-ondes (figures spielbergiennes, de Poltergeistà Gremlins).
Le contexte de la trame de Poltergeist est pour ainsi dire supérieur à son histoire en elle-même (encore que les extrapolations « délivrantes » du sauvetage de la fillette ou les charges contre l'inconséquence des promoteurs immobiliers**** aient une correcte pertinence) et d'aucuns pourront trouver le laïus parapsychologique un peu lapidaire et doucettement ridicule (le charisme particulier de l'actrice Zelda Rubinstein n'aidant pas à la prise au sérieux).
Les points d'orgue du film ont certes vieilli (plus que ceux du Shining de Kubrick, quasi contemporain) et les coutures pourront apparaîtrent parfois (resucées de L'Exorciste, inutilité spectaculaire de certains caractères) mais la montée en tension et la mise en place demeurent de petits modèles du genre, à l'intelligence rare, alternant un humour bon enfant et une angoisse parmi les plus pures. Et si l'on devait n'en retenir qu'un unique bénéfice, la leçon a été retenue: plus personne n'acquiert de maison sans demander au préalable si elle n'a pas été construite sur un cimetière.
* Tandis que La Fureur de Vivre vit James Dean mourir dans un accident de voiture, Nathalie Wood se noiera
dans sa piscine et Sal Mineo se retrouvera un couteau dans le buffet,
la série Arnold et Willy vient de voir Gary Coleman décéder
dans les conditions les plus pathétiques qui soient,
après que Todd Bridges ait sombré dans la drogue et poignardé un dealer.
L'actrice Dana Plato ayant quant à elle vu sa carrière se tourner vers la chirurgie esthétique
la plus tragique, le nu crapuleux et le vol à main armée... un climat pour le moins délétère la menant jusqu'au suicide. Dans une équivalente « mauvaise série » Poltergeist peut s'enorgueillir, entre autres,
d'avoir vu l'actrice Dominique Dunne se faire assassiner par son indélicat boyfriend
cinq mois tout ronds après la sortie du film
et la blondinette Heather O'Rourke succomber à 12 ans d'une sténose intestinale.
** Voyage au Pays de la Peur a été ôté des mains d'Orson Welles (la faute à l'échec commercial de La Splendeur des Amberson) au profit de celles de Norman Foster. Mais il demeurera très très influent (et au-delà !) sur le projet.
Signé par Christian Nyby, il est communément convenu que c'est Howard Hawks (producteur de ladite chose)
qui dirigea La Chose d'un Autre Monde.
*** Seul le néo-orphelin petit-poucesque n'est pas ici présent (il le sera dans E.T., Explorers, Gremlins
et tant d'autres: famille monoparentales ou démissionnaires responsabilisent plus tôt qu'il est de coutume,
ainsi que le réalisateur le vécut personnellement, les marmots spielbergiens).
**** Un parallèle métaphorique est d'ailleurs permis avec l'ultérieure Forêt d'Emeraude (Boorman, 85)
qui verra un entrepreneur de travaux défigurer la forêt amazonienne
au profit d'une expansion toute occidentale et son fils disparaître dans cette même forêt.
C'est lui et non la mère qui partira en quête. Et il échouera.
Poltergeist (USA/1982), de Tobe Hooper.
Sortie Française: 20 octobre 1982.