
Nous avions un excellent souvenir du prologue de Phenomena. Et un exécrable de sa suite.
Back in Switzerland, Argento que le fan considère alors perdu depuis 7-8 ans, ouvre bravachement son film par un démonstratif florilège de sa manière giallesque (avec auto-citation machamerilesque de Profondo Rosso) avant d'engager sa trame avec un petit tunnel narrativo-technique assez habilement orchestré toutefois (Pleasence y offrant une partition aussi paternaliste convaincu que chez Carpenter (Halloween ou, plus tard, Prince des Ténèbres), impression appuyée par la VF professorale): petite introduction à l'entomologie légale qui aura certainement influencée Grissom dans son choix de discipline !
Reprise alors des motifs Suspiriesques avec l'introduction de l'étudiante arrivante en pension zurichoise (Connelly reprend ainsi la place de Jessica Harper) à laquelle répondra plus loin un final singulièrement infusé d'Inferno(eau et feu)... Autant dire qu'on a l'impression d'avoir affaire à deux films distincts (celui avec Pleasence et celui sans), et surtout à la genèse du fameux troisième épisode des Mater tant attendu, auquel le réalisateur aurait renoncé en cours de route et refondu le script dans un autre, sur base de fascination insecte et de teenie fétichisme.
Film bancal et décousu, dont la cohabitation de deux types de BO isole encore un peu plus les segments disparates (à l'atmosphérique goblinesque se voit régulièrement substitué des standards metalleux (Iron Maiden, etc.) à l'usage discutable), Phenomena n'en est pas moins fascinant dans sa cruauté et son radicalisme. Mettant à mal plus que jamais la notion de famille (celle du film mais aussi celle d'Argento lui-même qui maltraite furieusement son épouse (Daria Nicolodi, bientôt ex-Argento) et ses filles (Asia et Fiore, surtout !) à travers leurs rôles) et de bonheur familial (une belle tirade anti-Xmas spirit* vient faire écho à la célèbre tenue par Phoebe Cates dans Gremlins !), ne dissimulant plus rien de sa fascination pour les corps nubiles (la jeune Jennifer Connelly n'a pas joui d'une dispendieuse garde-robe !) - sans pour autant atteindre la délicieuse vulgarité d'un DePalma -, le maestro rend aussi un hommage sans équivoque au conte initiatique, des classiques plongées en forêt aux errances absurdes mais fondatrices d'une Alice (avec tout le déterminisme féminin qui les nimbe)**.
Film avorté et re-né de sa propre charogne dévorée par les larves de mouches sarcophages, Phenomena est aussi pathétique (la plupart des personnages (le flic campé charismatiquement par Bauchau, la directrice de l'école tenue ridiculement par Dalila si Lazzaro) ne sont ni faits ni à faire, les séquences, fussent-elles réussies, s'articulent avec la dernière des souplesse) qu'il est, en définitive, fascinant. Ses faiblesses en font tôt ses forces, et la mutation qui s'opère sous nos yeux, le discours même que tient le film en regard de l'oeuvre de son réalisateur, en font une expérience des plus grisantes.
Nos souvenirs étaient inexacts: le prologue de Phenomena n'est pas si excellent. Et la suite est loin d'être si exécrable !
Dario Argento (1985)
* sans oublier un ultime clin d'oeil Morguéenà EA Poe !
** que Dario prétend réelle et par lui vécue !