Le cinéma italien a souvent trouvé sa place dans la cinéphilie mondiale en se consacrant à des genres préexistants qu'il adaptait « à sa sauce » comme le péplum (historiquement légitime !) ou le western spaghetti. Mais il s'est également imposé au travers de genres qu'il devait initier, tel le néo-réalisme ou le giallo, et faire rayonner sur les « autres » cinémas (la Nouvelle Vague française n'a jamais caché ses racines prises dans les films de Rossellini).
La comedia all'italiana, volontiers cynique et régulièrement bouffonne, appartient à cette seconde catégorie, purement italienne.
Et Divorce à l'italienne s'impose comme l'un des fleurons de ce courant, qui donna nombre de chefs d'oeuvre, à compter de la fin des années 50 (Le Pigeon, 1958) jusqu'à celle des années 70 (Affreux, Sales et Méchants, 1976), en passant par des années soixante guère moins riches en sommets (Le Fanfaron (1962), Les Monstres (1963), Ces Messieurs-Dames (1966)).
Les auteurs de ces monuments de cruauté sociale (et familiale) ont pour nom Mario Monicelli, Ettore Scola, Luigi Commencini, mais aussi Dino Risi ou Pietro Germi. Les armes qui nourrissent leur cinéma volontiers codifié sont la satire, l'ironie, le mordant, le pessimisme, la bouffonnerie, le caustique et, pourquoi pas ?, le mauvais goût.
Le courant est aussi une affaire d'acteurs, qu'on retrouve de films en films, incarner ces remises en cause de la société italienne d'après-guerre, bouleversée comme le reste de l'Europe, économiquement, socialement mais également dans l'évolution de ses mœurs (sujet on ne peut plus italien en ce qu'il se heurte fatalement à la profonde identité catholique du pays !).
Vittorio Gassman, Nino Manfredi et Marcello Mastroianni s'imposent ainsi parmi les plus réguliers et les plus illustres mais ce serait faire offense à Alberto Sordi, Ugo Tognazzi et même Vittorio de Sica que de les oublier.
Consécutive au néo-réalisme, la comedia all'italiana a « la même fonction » qu'auront les thrillers américains post-watergate, le western crépusculaire ou les films critiques sur le Vietnam : l'illustration des illusions perdues d'un peuple et d'un pays, l'affirmation de son désenchantement et de sa consciente déchéance - ce faisant sans doute nourrit-elle d'ailleurs aussi le cynisme et l'individualisme qui traverseront le western spaghetti à partir de 1964 (Pour une poignée de dollars), les deux genres ayant eu une durée de vie assez concomitante (age d'or et déclin inclus !).
Tout à ses modernes préoccupations, la comedia all'italiana ne perd cependant pas de vue non plus ni son héritage bouffon de la comedia dell'arte ni celui de son ancienne superbe (qu'elle soit antique ou non). Le contexte d'aristocrates déchus campé dans Divorce à l'italienne s'inscrit d'ailleurs résolument dans ce positionnement et propose ainsi une parfaite mise en perspective de la mutation sociétale italienne.
La décadence interne de la famille Cefalu se donne dans une société (une Sicile archaïque, clanique et passablement ritualisée) qui ne sait plus à quel saint se vouer (l'église ? Le communisme ?)... ni à quel sein (le droit de cuissage ? L'émancipation de la femme?). On se précipite pour voir La Dolce Vita au cinéma (délicieuse mise en abyme puisque Mastroianni joue également dans le film de Fellini !) mais on vit le spectacle de la dansante Anita Ekberg comme celui du spoutnik des soviétiques : une façon de science-fiction qui ne concerne pas vraiment le quotidien de chacun. Le divorce qui est en jeu dans le film de Germi est ainsi celui, drôlatique et privé, du baron qui cherche à se débarrasser de sa femme, mais aussi celui d'une Italie qui tend à rompre avec les archaïsmes qui plombent son allant.
Afin de rendre la rupture légitime, la comédie de Germi cherche - comme Cefalu à sa femme - des poux dans la tête de son pays, empêtré dans ses traditions et ses habitudes. Mais le cinéaste ne tend toutefois pas vers une modernité à tout prix : l'épisode des fresques du XVIIème siècle sur les plafonds des Cefalu recouvertes vulgairement par un héritier suggèrent bien que toute refonte n'est pas toujours heureuse.
Plus que ses condisciples de la comedia all'italiana, Pietro Germi se concentrera, dans la dénonciation des aberrants paradoxes qui minent la sphère familiale (et le couple plus particulièrement). La morale religieuse recevra, de fait, les plus violents boulets rouges de la part du cinéaste, qui donnera à plusieurs reprises l'assaut contre les portes d'une église catholique romaine pour le moins bornée. Ainsi, au lendemain du Divorce, Séduite et Abandonnée en 64, puis Ces Messieurs-Dames en 66 parachèveront une forme de triptyque vitriolé contre une église incapable de se réformer tandis que les mœurs de la terre entière (et de l'Italie en particulier) sont en train de changer.
Vitriolé mais volontiers hilarant.
Dans Divorce à l'italienne, où tout est à la fois dans l'angle de vue (un principe qu'annonce le générique) et où un changement d'axe de la caméra révèle une réalité biaisée par rapport au discours énoncé, le numéro de Marcello Mastroianni est au-delà du délicieux. Chaplinesque (tendance Mr Verdoux), à la lassitude éminemment burlesque et d'une modernité folle à la fois, l'acteur fait des étincelles et suscite le rire avec une fausse désinvolture absolument confondante, polie à un humour aussi noir qu'est impeccable sa moustache.
Divorzio all'italiana (Italie/1961), de Pietro Germi
Sortie salles françaises: 22 mai 1962
(l'amateur appréciera de constater que les aléas véhachesques n'étaient pas la seule exclusivité du cinéma de genre (sans cesse recadré, retitré, aux affiches composites voire mensongères:
la photo retenue pour la couverture de cette cassette vidéo est une image tirée de Mariage à l'Italienne (de de Sica) et non du Divorce !
La coquille est tout de même de taille:
Sophia Loren ne joue pas dans le Germi et ce dernier signait un film en noir & blanc !)