Il n'est pas ridicule de se figurer qu'après Larry Flint (dans le film éponyme de 1996) puis Andy Kaufman (dans Man on the Moon, 1999), Milos Forman aurait pu clore une façon de trilogie de « figures américaines » avec un biopic de Divine.
En effet, l'égérie du cinéaste de Baltimore John Waters - celui-là même qui fustigeait l'hypocrisie du faussement sage american way of life -, eut sans doute aucun permis à l'auteur de Vol au-dessus d'un nid decoucous de refermer un freak tryptic par l'acme de trash et de glamour à nulle autre pareille qu'aurait été l'évocation fictionnée de cette drag queen en tous points maousse (mais, quid de casting, qui aurait alors campé le phénomène ? Matthew McConaughey ou Christian Bale (pour ne s'en tenir qu'aux familiers de la prise/déprise de poids)?).
A ce jour seul le documentaire a pris la peine de se pencher sur la trajectoire peu commune de la décadente diva (en réalité le comédien transformiste Glen Milstead). Par trois fois déjà. Divine Waters (1985) n'étant pas posthume tandis que Divine Trash(1998) et I am Divine (2013) si.
Le dernier en date est le fruit du travail d'un spécialiste de la représentation de la sexualité à Hollywood (auteur, entre autres, du tout programmatique Hitchcocked!), en la personne de Jeffrey Schwarz, qui avait déjà signé les docs Vito et The Celluloid Closet - le second film étant une mise en images des travaux menés par le sujet de son premier, plus précisément consacré à l'homosexualité à Hollywood.
Avec un sujet qui appelle par essence à toutes les profondeurs, son doc sur Div', pour informé et généreusement archivé qu'il est, s'en tient pourtant étrangement à la (vaste) surface des choses.
Platement chronologique, le film ne manque certes pas, riche en images d'époque et témoignages croquignolets, de livrer nombre d'informations de premier choix (juste avant sa mort, d'une soudaine et « paisible » crise cardiaque à l'age de 42 ans, l'acteur venait par exemple de rejoindre le casting de la sitcom politiquement peu correcte Mariés, Deux Enfants de Ron Leavitt et Michael G.Moye). Mais ne pose guère de questions, pas plus qu'il n'amorce la moindre analyse.
Dans sa retenue I am Divine n'est pas même une radiographie, mais avancerait plutôt avec un certain angélisme. Au point de relever davantage d'une homélie pour obsèques chaleureuses que d'un authentique portrait.
Certes, Divine lui-même balayait d'un revers de main outrageusement manucurée toute réflexion sur sa démarche, toute légitimation de son « existence » (il est un acteur homosexuel obèse et travesti, incarnant le glamour jusque dans ses plus extrêmes et provocatrices représentations, fussent-elles coprophages), se considérant simplement comme un outil docile dont d'autres usaient (John Waters en tout premier lieu, mais quelques gourous de théâtre drag'n'freaky aussi).
Or la posture d'I am Divine est de s'en tenir un peu trop respectueusement à cette lapidaire et pygmalionne version. Au point de ne stérilement dérouler que des anecdotes sans autre espèce de projet que de nous faire aimer Divine (intention stérile puisque c'est ce que chaque spectateur fait déjà, avant même que le générique ne s'amorce : on ne s'embarque pas dans un doc sur Divine sans bienveillant préalable !).
A ainsi, par l'hommage, se lier les mains, le titre Schwarz s'avère vite sans force évocatrice autre que celle, évidente, de la nature bigger than life - on ne saurait mieux dire en l’espèce ! - de son sujet.
Soit l'écueil dramatique de la plupart des biopics (pas ceux de Forman pourtant, ni de Gus Van Sant !) ou de tout biodoc, le nez si près du portrait qu'il dresse qu'il n'en distingue plus les contours. Ni l'arrière plan.
Or, en sphère Watersienne, à la roublardise aussi soignée que la moustache, on aurait été en droit d'en attendre davantage.
Il y a sans doute dans I am Divine - c'est une honte de se l'avouer - trop d'amouret pas assez de démarche.
Non pas qu'il faille à tous prix dézinguer la glamoureuse et massive statue. Ni vouloir faire saigner les plaies, réouvertes pour l'occasion. Mais au moins eut-il été bienvenu de s'interroger sur le pourquoi de CE personnage dans CETTE Amérique. En souligner l'utilité, le sens, la réception, les réactions, les conséquences.
Mais Shwarz choisit affectueusement de ne pas filmer plus loin que le bout des faux cils de sa diva et semble ne se contenter, avec tendresse, que de la sueur et des paillettes. Au risque de passer à côté de quelque chose de plus vaste. S'en tenir à l'intime, ne lui fait dérouler qu'un journal, pas une réflexion.
Un exemple criant de ce rendez-vous manqué avec « un autre film »: Divine, au faite de son succès, croisera Warhol (fugacement). Mais cela semble ne rien éveiller dans la tête du réalisateur, qui ne met à aucun moment en perspective, ou à tout le moins en parallèle, le travail des deux artistes sur l'idée de glamour, de célébrité (Divine fera pourtant ses premiers pas de travestis en se grimant en Elizabeth Taylor !!) et de sérialité.
Hélas, tandis que l'acteur semblait fort bien assumer d'être tel un éléphant dans le magasin de porcelaines de l'Amérique, I am Divine paraît amoureusement caresser le pachyderme en ignorant tout de la fameuse porcelaine alentour.