Sur la une de son numéro de février d'il y a 25 ans, Starfix titrait: "85: L'Année des Tarés". Sans doute que des titres comme Razorback ou Brazil (peut-être les Forêt d'Emeraude, Griffes de la Nuit, Phenomena, Lifeforce, Rambo 2, Retour des Morts-Vivants ou Vers le Futur et Terminator aussi, mais nous verrons cela plus tard, voulez-vous ? ils seront tous chroniqués cette année) motivaient une telle affirmation.
Nul doute que le Dune de Lynch et de Laurentiis pouvait rejoindre l'escouade de certains de ces projets un peu frappadingues – depuis le film a fait couler beaucoup d'encre et de larmes (de sang pour Paul Atréides mais c'est parce qu'il a bu l'Eau de la Vie, de rage pour Lynch, et de déception pour le plus grand nombre).
On a ainsi tout entendu à propos de Dune.
Ratage, grand film malade, trahison... la réputation nauséabonde du titre a décidément la peau dure et traverse les âges aussi aisément que voyage La Guilde Spatiale en repliant l'espace grâce au gaz orange de l'Epice (pas une paille, ça !).
Projet voué au mur dans lequel il ira justement tout droit, préalablement entrepris par David Lean puis Alejandro Jodorowsky*, il échut, par l'intermédiaire du nabab italoche de Dino de Laurentiis, au réalisateur d'Eraserhead et d'Elephant Man (qui venait de refuser de tourner Le Retour du Jedi !), alors qu'il n'était pas même, ce qui est un foutu bon point, fan du brouet messianique de Frank Herbert (qu'il n'avait alors pas lu).
On sait que, comme pour un casting de La Nouvelle Star, on retient des gens pour leur univers et leur particularisme et qu'on s'applique à les gommer chaque jour un peu plus, à leur couper les ailes, on sait donc oui que Lynch n'aura jamais vraiment les coudées souhaitées (il part sur un film de 5 heures, qui ne fera finalement que 2h15 (1h50 en version « producteur ») et qu'il ne parviendra jamais à proposer sa vision réelle de la saga.
Mais, plus que tout surtout, on s'interroge sur la volonté du barré David à s'embarquer dans une oeuvre aussi boursouflément ambitieuse, aux enjeux aussi pénibles et à la narration aussi rébarbative (il attaque d'ailleurs son film par un bon tunnel narratif, jargonneux et pompier du pire effet).
La mystique lynchienne nous semble en effet plus nébuleuse, plus freaky (plus subtile ? flippante ? transgressive ?) que le bestiaire balourd proposé là (il s'en sort toutefois fort bien avec le Baron Vladimir Harkonnen, apportant plus encore en répugnant au personnage original (Kenneth McMillan, décadentissime !)) et la parabole ramenarde et emphatique que constitue le matériau originel.
Mais puisque le mal est fait (et deux fois fait !), qu'en dire ?
Rien de plus que tout ce qui a été dit sans doute (confusion générale, emphase et densité épuisantes, carence d'univers (seul le design semble avoir cours), effets spéciaux foireux, piètre gestion (et construction) des personnages (tels les pétards mouillés que sont les neveux Harkonnen)...), si ce n'est que le film tient, par une incompréhensible alchimie/énergie, à peu près debout jusqu'au départ de la smala Atréides sur Arrakis (soit une petite heure trente) et qu'on a toujours plaisir à retrouver Paul Smith ou Brad Dourif, fussent-ils rouquinisés ou hypertrophiés des sourcils, dans des troisièmes couteaux qu'ils aiguisent avec toujours autant de charisme (Smith n'a pourtant à peu près qu'une expression par décade !) - on notera en outre que, décidément, la jeune Sean Young avait alors le vent SF bien en poupe !
Lynch ne veut plus entendre parler de Dune pas plus que les exégètes du môssieur plébiscitant pour la décennie 00's son Mulholland Drive... et pourtant je commence à croire que c'est décidément dans leurs « ratages », leur(s) moindre(s) mesure(s), leurs grands films malades (hein, Trutruffe ?), que les grands auteurs se montrent le plus intensément peut-être, de manière émouvante, vulnérable. Plus que dans leurs évidentes et intouchables masterpieces en tous cas.
* une aventure de pré-production prodigieuse et édifiante,
qu'on peut retrouver dans le n°107 du magazine Metal Hurlant,
et résumée ici en « prélude ».
Dune (USA/1984), de David Lynch
Sortie française: 6 février 1985
Sortie française: 6 février 1985